Centenaire de l'Armistice

Les mots du Maire à l'occasion de la cérémonie de Commémoration de l'Armistice de 1918.

" Il y a 100 ans, exactement à la même heure, prenait fin ce qui fut sans nul doute, avec ses 10 millions de morts (1,4 million de français) ,un des épisodes guerriers les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité.

La commémoration de cette armistice (le chiffre que je viens de citer m’interdit de parler de victoire) m’oblige à revenir sur l’histoire, parce que l’histoire est là pour nous permettre de comprendre le présent afin de préparer l’avenir en essayant d’éviter les erreurs du passé.

Il ne reste plus aujourd’hui de survivant de cette époque et rares deviennent celles et ceux qui ont connu 39-45. A une époque où la construction de nos identités pose souvent question, en particulier aux jeunes générations, les réflexions qui doivent accompagner cette commémoration sont plus que jamais utiles.

Autant de raisons pour vous remercier d’être aussi nombreux aujourd’hui, à nos aînés, aux jeunes des écoles accompagnés par leurs parents et certains de leurs enseignants, pour participer à ce moment de rassemblement, de recueillement indispensables à la construction de notre identité collective.

Votre présence ici est importante car, comme pour tous les villages de France, cette guerre ne doit pas, pour les générations qui ne l’ont pas connue, c-a-d nous tous ici présents, être perçue comme une légende abstraite : elle a marqué dans leur chair des gens qui ont vécu ici, autant qu’elle a marqué en profondeur l’histoire du XX° siècle.

  Au recensement de 1911, Pinsaguel comptait 326 habitants ;

-        Près de 60% des hommes seront mobilisés au cours des 4 ans de guerre. Nous en avons ici un témoignage, Jean Marcellin Deltour, grand père de Marcel Deltour sera mobilisé à l’âge de 40 ans, son fils Antonin sera appelé en 1917 à l’âge de 19ans.

-         en 4 ans, 19 Pinsaguélois sont morts pour la France. Leurs noms sont inscrits sur le Monument aux morts et témoignent du tribut qui a été payé par les familles Pinsaguéloises. Je salue la présence parmi nous de madame de Gaujac dont la famille a fortement contribué à ce tribut.

Si nous ramenons ce chiffre à la population actuelle de Pinsaguel, cela représenterait 160 hommes entres 20 et 40 ans (une Pinsaguéloise, petite fille du Général Berdoulat, me disait la semaine dernière qu’elle avait perdu son grand père maternel et son grand oncle paternel) : quand derrière ces chiffres nous prenons la mesure de l’horreur des combats et de vies fauchées dans la fleur de l’âge, nous prenons la mesure des  drames qui s’abattirent sur tous les villages de France.

Le devoir de mémoire qui s’impose alors à nous ne peut se limiter à un rappel ému du passé. En cette année centenaire, il nous oblige aussi à tenter, fut ce très modestement, à élever le débat pour tenter de comprendre le présent.

Cette réflexion, nous la devons aux morts pour la France afin que leurs sacrifices puissent nous éclairer, que les générations à venir puissent en tenir compte pour éviter que pareil désastre ne se reproduise.

Je voudrais évoquer devant vous les 4 points autour desquels s’organise ma réflexion.

1)  Ne soyons pas ingénus : il ne suffit pas d’invoquer la paix pour éviter la guerre. Le pacifisme est certainement une des plus nobles aspirations qu’il soit mais la réalité nous rappelle que Gandhi est mort sous les balles d’un fanatique Hindou et Jaurès sous celles du nationaliste Raoul Villain.

Parce que la paix est le plus fragile et le plus sacré des équilibres nous ne la protégeons peut être jamais assez : « si vis pacem para bellum », «  on a toujours une armée chez soi ; si ce n’est pas la notre, c’est celle d’un autre ».

On peut toujours disserter sur ces citations qui se veulent de bon sens. Ils supposent au moins que nous apprenions à nous protéger et que nous nourrissions le plus grand respect pour celles et ceux qui en ont la mission, parfois jusqu’au sacrifice.

En revanche, ce devoir de protection ne doit pas nous égarer. « Le patriotisme c’est l’amour des siens. Le nationalisme c’est la haine des autres ». J’ai toujours présent à l’esprit ce mot de Romain Gary compagnon de la Libération. Défendre la patrie, toujours, à condition de  rester vigilants pour que cela ne tourne pas à la haine des autres.

Nombreux de celles et ceux qui sont morts pour la France sont tombés avec cette grandeur d’âme.

Parce que la France est un beau pays, un grand pays, qu’elle contribue par sa culture, ses arts, sa science aux lumières qui éclairent le monde, en 1914, des combattants sont venus du monde entier (d’Amérique, d’Afrique, de Russie, de Chine…) se battre aux côtés des soldats français.

2)  Cela nous oblige à ne pas avoir la mémoire courte : n’oublions qu’en quelques jours d’avril 2017, 7000 des 15.000 combattants africains engagés en première ligne sur le chemin des dames ont péri en frères d’armes des soldats français. En 1918, 10.000 soldats chinois et 100.000 soldats américains ( les fameux Sammies) étaient également tombés aux côtés de leurs frères d’armes français.

Ne pas oublier cette dette de sang que nous avons à l’égard de certains pays fait aussi partie du devoir de mémoire sans lequel la France ne serait pas ce qu’elle est.

C’est pour moi un devoir de le rappeler ici aujourd’hui.

3)  Nous devons aussi apprendre à assumer notre histoire dans ce qu’elle n’a pas eu de glorieux. Le temps est passé, les passions se sont éloignées, nous devons apprendre à le faire.

La guerre de 14/18 fut d’abord marquée par le terrible fossé qui a séparé certains gradés (de l’Etat Major notamment) des hommes sur le terrain. Le terme de chair à canons, les hécatombes rattachées au nom de certains généraux qui décidaient depuis Paris (Nivelle sur le Chemin des dames qui fut destitué en mai 2017 après avoir été à l’origine de 50.000 morts pour rien)  illustraient cette phrase de Paul Valéry « la guerre ce sont des gens qui ne se connaissent pas qui se tuent pour des gens qui se connaissent et qui ne se tuent pas ».

L’histoire nous cacha longtemps que ce fossé entre gradés et combattants donna lieu à de nombreuses mutineries, la première à Craonne où furent fusillés pour l’exemple des dizaines de combattants. Ce fait historique qui entacha de nombreuses familles de déshonneur fait aujourd’hui l’objet d’un consensus républicain, ce n’était pas encore le cas il y a vingt ans.

Assumer notre histoire dans ce qu’elle n’a pas eu de très glorieux fait aussi partie du devoir de mémoire. 

4) La guerre de 14-18, en même temps qu’elle a durablement modifié l’équilibre du monde  a durablement affaibli l’Europe et la France. C’est la 4° leçon de la guerre de 14-18 que nous devons, compte tenu de l’actualité, avoir présente plus que jamais à l’esprit.

S’agissant de l’équilibre du monde, les historiens les plus sérieux s’accordent aujourd’hui pour dire que l’instabilité du Moyen Orient (en parlant d’instabilité j’euphémise) est née en 1918 : le dépeçage de l’empire ottoman avec pour conséquence le partage de pays comme le Liban, la Syrie, l’Irak, la Palestine entre plusieurs pays et confessions est pour eux à l’origine du conflit Israélo-Palestinien et des revendications actuelles de l’Etat Islamique sur la frontière Irako Syrienne.

1918 fut aussi le point de départ d’un mouvement de grandes migrations : effondrement des empires, famines et épidémies font que des centaines de milliers de réfugiés (la Grèce comptera sur son sol 700.000 réfugiés en 2020) se retrouvent chassés de chez eux sans statut légal.

S’agissant de l’Europe, ce berceau de civilisation, de la vie artistique et intellectuelle qui rayonnait depuis de longs siècles sur le reste du monde, ce berceau de la révolution industrielle du XIX siècle se retrouve en 1918 avec un appareil productif détruit, des forces vives décimées et un territoire morcelé.

La France se trouve dans le même état : tout est à reconstruire, les villes et les villages manquent de forces vives du fait du nombre de tués et de mutilés. Après les jours de liesse qui ont suivi l’armistice une chape de plomb, de désarroi pèse sur le pays et dans les familles ce qui conduira Paul Valéry à écrire en 1919 « Nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles ».

En ce jour anniversaire de l’armistice de 1918,  ce rapide survol historique s’imposait à mes yeux : on ne célèbre pas tous les jours le centenaire de l’évènement qui reste probablement (certes avec la Libération) le fait le plus marquant du siècle écoulé.

Les poilus qui partaient au combat au début du siècle dernier parlaient de la « der des der ». Nous savons ce qu’il en fut après, quand les effets combinés de l’humiliation allemande et de la crise économique de 1929, amèneront Hitler au pouvoir en 1933.

Je me pose souvent la question : que peuvent les hommes contre ces mouvements profonds de l’histoire, comment résister à son rouleau compresseur quand il s’annonce tragique. Reconnaissons le, l’actualité conduit à se poser cette question avec une particulière gravité.

A mon humble niveau, les réponses que je peux apporter sont les suivantes :

-        J’ai d’abord voulu vous dire que dès lors que l’on prend conscience de ce qu’est l’horreur d’une guerre pour celles et ceux qui la subissent, la commémoration d’une armistice ne peut être placée sous le signe d’une ferveur guerrière. C’est la raison pour laquelle ce Monument aux Morts est pour moi, pour notre commune, un lieu de rassemblement de recueillement et de respect républicain, qui ne peut prendre tout son sens que s’il est aussi un lieu d’évocation de la paix. Le fait qu’il soit au centre du village, devant la Mairie, sur la route des écoles est à ce titre fortement porteur de sens. 

-        La paix, c’est toujours préférer ce qui rassemble à ce qui divise. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire, parce qu’aller vers le camp adverse c’est, après être passé outre ses invectives et les reproches de ses amis, accepter de  s’exposer, de se fragiliser pour rechercher la conciliation.

L’histoire du siècle écoulé nous l’a appris : nous devons toujours rechercher la voie de la conciliation parce que, quel qu’en soit le prix, la paix est toujours moins coûteuse que la guerre.

-        Le passé nous rassemble dans la commémoration et le respect. L’avenir doit nous rassembler dans la volonté d’en construire ensemble une vision partagée : c’est quand on se rassemble et non lorsqu’on se divise, que l’on réunit les conditions de la paix.

Cette vision partagée vaut aussi bien pour Pinsaguel, pour la France, que pour l’Europe qui est notre maison commune et l’espace politique dont nous avons besoin pour que notre pays puisse continuer à rayonner en paix dans le monde.

Nous sommes très nombreux à partager l’idée que  la construction de l’Europe est aujourd’hui très imparfaite.

Veillons toutefois à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain car l’enseignement de 14-18 est bien que c’est parce que l’Europe s’est déchirée dans des conflits frontaliers, que certaines forces et intérêts particuliers de l’époque ont tout fait pour écarter ce qui pouvait rassembler ses nations et leurs populations, qu’elle est entrée dans une guerre qui l’a durablement affaiblie et qu’elle a entraîné avec elle l’affaiblissement des Etats qui la composaient.

Vive la République

Vive la France en paix

Vive l’Europe en paix

Vive la paix "

Jean Louis COLL, le 11 Novembre 2018 à Pinsaguel.